SOCIÉTÉ TUNISIENNE D' INFORMATIQUE MÉDICALE SOCIÉTÉ MÉDICALE SAVANTE A BUT NON LUCRATIF FONDÉE EN 1996 L'INFORMATIQUE PAR LES MÉDECINS POUR LES MÉDECINS
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ÉVOLUTION DE L'
ALIMENTATION TUNISIENNE ET IMPACT SUR LA SANTÉ
Pr ZOUHAIER KALLAL
INTRODUCTIONLa Tunisie carrefour de
civilisations et de brassage de plusieurs ethnies est fière de son art
culinaire qui illustre bien sa diversité culturelle. En effet on dénombre en
Tunisie plus de 300 plats divers dont les ingrédients sont issus de son
terroir. Il est difficile de parler
de l'alimentation des tunisiens en termes généraux. Il est certains, par
ailleurs, que l'évolution des habitudes alimentaires au cours des dernières décennies
s'est traduite par des modifications dans l'équilibre alimentaire. L'amélioration du niveau de
vie et l'augmentation des disponibilités alimentaires ainsi que la
diversification des produits ont certes mis la population tunisienne à l'abri
du déficit mais pas de celui du déséquilibre de la ration. Un certain nombre d'aliments
traditionnels victimes aujourd'hui d'une mauvaise presse sont de plus en plus négligés
depuis le stade de la recherche, de la production jusqu'à celui de la
consommation et de la nutrition. Les efforts visant à stimuler leur
consommation sont rares et disparates. La Tunisie subit aussi
l'urbanisation accélérée que connaît le monde en développement ; l'émigration
vers les villes se traduit par une nouvelle pathologie liée à l'alimentation.
Cette urbanisation implique de nouveaux style alimentaires touchant la nature
des aliments consommés, leurs préparations mais aussi leurs rythmes de
consommations. Quelles étaient les caractéristiques
de cette diète tunisienne authentique et quels styles alimentaires pratiquaient-
t -on, le mode de vie étant bien entendu en relation étroite avec ces styles? Diète Tunisienne AuthentiqueCéréales, légumineuses,
huile d'olive, fruits et légumes, quantité réduite de viandes ou de poissons,
fromages saisonniers, oeufs selon les régions constituaient la base de ce régimes.
Ces ingrédients au sein desquels figurait parfois le lait étaient consommés
en proportions différentes selon les zones urbaines, rurales ou côtières. LES
CÉRÉALES : blé, orge, sorgho consommés sous forme de farine,
pain, pâtes, semoule entraient dans la composition du couscous national et
d'une multitude de plats, d'entremets et de desserts. Carencés en acides aminés
essentiels ces céréales étaient largement et systématiquement associées aux
légumineuses (fève, lentille, pois chiche, haricots, petits pois secs, etc. ). Une véritable supplantation se concrétisait
ainsi. Ce taux de protéines végétales était potentialisé par la présence, bien que souvent réduite de : Protéines
Animales : l'agneau traditionnel bien que consommé
occasionnellement dans le milieu rural; les poissons blancs et bleus dans les
zones côtières peu appréciés par les zones urbaines. Le lait de vache, de chèvre
ou de brebis, les fromages locaux ou les préparations à base de lait caillé,
petit lait. Ces protéines animales étaient
consommées quantitativement plus ou moins selon les régions. Si le score protéique se
trouvant ainsi amélioré le rapport pa/pv restait cependant bas. Les besoins en fibres
alimentaires, en fer en vitamines du groupe B étaient couverts bien que le fer
soit surtout non hématique et que l'excès de fibres chélataient plusieurs
micro-nutriments. L'
HUILE D' OLIVE le corps gras par
excellence est souvent unique est utilisé largement pour la cuisson,
l'assaisonnement et même la conservation. LE
BEURRE était consommé au printemps,
tartiné et jamais en cuisine, et présent dans quelques pâtisseries citadines. Quant
au fameux « SMEN » (beurre surcuit
et salé intensément) n'était utilisé en Tunisie que comme arôme releveur de
goût contrairement à l'orient ou la cuisine est faite jusqu'à ce jour à base
de cette mixture génératrice de tant de pathologies (gastro-intestinale, dégénérative
et cancéreuse). LÉGUMES
ET FRUITS «aliments » de protection
étaient largement consommés. Les légumes, abondants et
saisonniers, étaient consommés souvent cuits et rarement crus, seuls quelques
légumes étaient apprécies crus lors de leurs pleins saisons : salade romaine,
fenouil et concombre. LES
FRUITS DE SAISONS étaient consommés
frais, on conserves ou séchés. LES
FRUITS SECS bien qu'abondants en
Tunisie étaient assez peu consommés et entraient dans la compositions de
quelques pâtisseries et biscuits maison. LES
PRODUITS SUCRES: sucre et miel : Ce dernier était plus
abondamment utilisé, quant au sucre il entrait dans la composition de pâtisseries
et biscuits maison. LES
BOISSONS étaient dominées par l'eau
plate et dans quelques circonstances par des boissons à base de fruits. Les
limonades consommées et en tous les cas jamais servis à table. Il va s'en dire que bière,
vin et alcool n'étaient guère dans les habitudes alimentaires. La Tunisie n'étant
devenue productrice de vins que depuis le début du siècle. LE
NIVEAU ENERGETIQUE global était
relativement assez bas, la réparation des nutriments était selon les régions
déséquilibrée en faveur soit des glucides ou des lipides ; le taux protéique
restant assez bas quant à son rapport. LES
RYTHMES ALIMENTAIRES étaient caractéristiques
et bénéfiques si l'on écoutait les ténors de la chronobiologie actuelle ; en
effet le petit déjeuner était copieux et familial, une collation était prévue
à dix heures, le repas de midi n'était pas riche alors que le dîner bien que
plus important était pris tôt. Il est vrai par ailleurs que
l'on déplorait quelques erreurs alimentaires concernant en particulier la femme
enceinte, le nourrisson et le 3" âge (prise de poids lors des grossesses,
introduction tardive de suppléments alimentaires chez les nourrissons, fausses
croyances nutritionnelles du 3ème âge). Convertir cette diète et
ce style alimentaire en langages de sciences nutritionnelles reviendraient à
exposer des notions sur les bases physiopathologiques de la nutrition et de la
diététique thérapeutique connues et assez diffusées dans nos sphères académiques
et même médiatiques. Moins de graisses saturées,
plus de graisses poly-insaturées et mono-insaturées, plus de fibres
alimentaires, moins de sucre à absorption rapide, moins de calories, moins de
sels, moins d'alcools, plus de respect aux rythmes alimentaires,. N'est ce pas là
les recommandations actuelles ? Il est vrai par ailleurs que
le régime alimentaire n'est pas un facteurs unique pour expliquer la pathologie
dégénérative du siècle. Une multitude de facteurs environnementaux sont
aussi à prendre en considération mais il faut reconnaître que ces facteurs ne
sont ni constants ni d'égales acuités dans tous les cas. Seuls les styles
alimentaires sont constants et incontournables. La tendance actuelleElle se caractérise un excès
d'apport calorique, un déséquilibre et une rupture des rythmes alimentaires.
Notre régime a perdu tout identité puisque nous assistons à un aspect
particulier à la Tunisie à savoir la juxtaposition des aliments traditionnels
dont les recettes ont été profondément modifiées et d'aliments nouveaux
venus d'ailleurs ! Alors que Les Produits D'origine Animale étaient
relativement réduits dans la ration, nous assistons actuellement à une
consommation accrue de viandes, de volailles, de lait, de lait boisson ! de
yaourt, de fromages et d’œufs. Le poisson n'a pas subit la même progression
notamment le poisson bleu qui continu à être délaissé. Quant à leur mode de
consommation, il a subit de grandes modifications. On constate en effet la présence
de plusieurs de ces protéines au sein du même repas. Il est courant de servir:
viande + poisson + fromage ou viande + oeufs + lait ou encore oeufs + poisson +
fromage. Quant
aux Corps Gras ; a coté des huiles d'olive, de soja, de tournesol, de
colza ou de mélange d'huiles, il faut noter la place prépondérante que le
beurre a pris dans nos habitudes. Alors que la cuisine tunisienne comme celle de
pourtour Méditerranéen était à base d'huile. Le
fameux « SMEN » utilisé comme arôme
dans le temps est devenus élément de cuisson dans plusieurs régions, nous
devons cela aux relations et échanges plus étroits avec l'orient comme il de même
de la « Chaouarma» D'où l'on récupère les
graisses suintantes surchauffées d'une brochette de viande fixée à un axe
tournant exposée à une cuisson continue. Les
Fruits Oléagineux que nous consommions à l'occasion ont envahis notre régime.
Bien que la plupart de leurs graisses soient insaturées, elles contribuent à
augmenter ainsi le taux lipidique de la ration. La Crème Fraîche, inconnue il y a quelques années, est ajoutée à toutes les recettes en plus de son utilisation dans les pâtisseries. SUCRE
ET PRODUITS SUCRES occupent une place moins importante que celle des
lipides, particulièrement les sucres à absorption rapide. A titre d'exemple la
Tunisie compte plusieurs types de pâtisseries locales, régionales et
internationales à savoir : v
une traditionnelle à base de céréales,
une régionale typique à base de fruits secs v
une européenne c'est à dire français
datant du protectorat v
une orientale introduite récemment
à vivre allure v
et enfin les Crèmes Glacées
consommées actuellement durant les quatre saisons. LE
CHOCOLAT, est en passe de devenir un ingrédient de consommation
quotidienne. Une industrie de produits cacaotés est née avec en parallèle
celle des herzats. Quant aux BOISSONS LES SODAS dominent la
scène, il est superflu de les énumérer, marques nationales et étrangères se
disputent le marché de la triade sucre + gaz + eau. BIERE,
VIN, ET AUTRES BOISSONS ALCOOLISÉES connaissent un nouvel essor dont les calories viennent
renforcer celles des autres pléthores alimentaires. THE ET
CAFE sont consommés par toutes les tranches d 'âge et ceci
est nouveau. Les enfants et les jeunes adolescents étaient épargnés. En Tunisie la plupart des
citoyens étaient soit buveurs de thé (le théisme à été décrit depuis le début
du siècle) ou amateurs de café turc ; aujourd'hui l'on consomme les deux à la
fois dans la même journée bien sucrées à une moyenne de deux à six tasses. L'
INDUSTRIE DES JUS DE FRUITS s'est aussi développée, mais à coté s'est développé
aussi une industrie de plus en plus florissante celle des boissons sucrées
aromatisées ou arômes et colorants abondent. LES CEREALES bien qu'elles occupent encore une place prépondérante, ne sont plus associées aux légumineuses leurs taux d'extraction s'est élevé réduisant ainsi les fibres mais offrant hélas un pain plus blanc. Notons au passage que le couscous national est moins prisé par les jeunes. Quant aux croissants et brioches, ils garnissent les paniers de toutes les ménagères. LES
POTAGES ET SOUPES A BASE DE CEREALES ET DE LEGUMINEUSES d'antan très
nombreux et variés sont en passe de disparaître des menus des grandes cités. Quant aux LEGUMINEUSES, producteurs, planificateurs, consommateurs se sont
ligués contre elles. Seule persiste une soupe aux pois chiche que nous
soutenons par une éducation nutritionnelle depuis des années. D’innombrables
et excellents petits déjeuners à base de céréales ont presque disparu tels
que sorgho, « Bsissa», « Zamita etc Très abondants du fait de
nos conditions climatiques, Fruits Et Légumes ont vu aussi des modifications dans leurs
consommations. La dominante «aliments sans résidus » dans l'alimentation à
fait reculer leur consommation. Les légumes frais crus restent toujours moins
prisés que les légumes cuits ; les fruits, bien que devenus «quatre saisons
» ne sont pas consommées autant que le conseil nutritionnel le voudrait. On peut encore disserter
longuement sur le nouveau profil de la ration alimentaire du point d vue
quantitative et qualitatif n'ayant
pas délaissé complètement les mets traditionnels nous avons donc ajouté
d'autre. Cet effet de sommation ne pouvait pas être sans conséquences sur la
santé. COMMENTAIRESCe régime sans être
traditionnel ni occidental par ailleurs, est consommée à un rythme quotidien
des plus varié et des plus fantaisiste. Le petit déjeuner est
absent ou réduit, le nombre des repas insuffisants, le dîner devenu souper.
D'autre groupement pour des raisons diverses adoptent d'autres rythmes, je n'en
citerais que trois : Celui de la séance unique sans interruption, de la journée
continue salis apports adéquats et bien ciblés et du travail posté imposé
par l'industrialisation de plusieurs secteurs. La chronobiologie y est complètement
bafouée. Une pathologie nouvelle est apparue qui de «fonctionnelle » est
devenue organique. Par ailleurs, nous sommes
passés du plat unique riche et composé à une multiplication des plats au
cours du même repas. Nous avons voulu mimer le menu à l'occidentale qui ne
s'adapte pas à notre type de cuisine et encore moins nos recettes. Les recettes tunisiennes
comportent rarement des hors d'œuvres un potage chaud en hiver et une salade de
légumes grillés en été, sont presque les deux entrées les plus communément
connues Faut-il aussi citer, pour
bien souligner ce dérapage, l'alimentation hors des ménages non toujours motivée,
l'achat superflu de produits alimentaires stockes dans les foyers et la «mode
» du restaurant quand la table peut être servie. Régime hypocalorique, riche
en graisses saturées riche en sucre à absorption rapide, appauvris en fibres,
riche en sels, arrosé parfois, dans un environnement ou stress, sédentarité
et tabagisme créent dans le pays d'Hannibal un paradoxe nutritionnel à savoir
celui de la malnutrition de l'abondance. En effet, des désordres cliniques
chroniques, maladies dégénératives associées à une sédentarité sont
causes de morbidité et moralité malgré l'amélioration de l'espérance de
vie. En effet toutes les maladies
liées à la pléthore sont observées en Tunisie, il y a lieu d'en mesurer l'étendue
: athérosclérose, affections cardio-vasculaires, accidents vasculaires cérébraux,
diabète, hypertension artérielle, obésité, hyperlipémies, certains types de
cancer, lithiases et caries dentaires.. Elles se caractérisent
aussi par leur âge d'apparition, en effet beaucoup de ces syndromes atteignent
aujourd'hui l'adulte jeune. A titre d'exemple, une femme
sur deux est obèse après 30 ans l'incidence du diabète est passée de 2,3 %
il y a 10 ans à 3 ou 4 %, la prévalence de HTA selon les régions va de 1,1%
à 10,8% les chiffres records concernent le capital 8,7% chez l'homme et 10,8%
chez les femmes. Devant ces écarts dus probablement à des abords épidémiologiques
différents, la Tunisie doit rester vigilante vis à vis de ces problèmes Un nouvel aspect d'atteinte
à l'état nutritionnel non propre en Tunisie est aussi à souligner; il s'agit
d'une pathologie liée à l'aliment due aux différentes pollutions micro-biologiques
et physico-chimiques rencontrées tout le long des étapes de la chaîne de
transformation alimentaire. Cette relation est peu connue, des travaux épidémiologiques
sont nécessaires afin d'élucider ce problème en vue de sa prophylaxie. La dimension alimentaire,
nous le répétons, bien que fondamentale n'est pas le seul facteur de nos
nouveau maux.. Mais on ne peut guère nier par l'observation empirique et
objective que le passage d'un style alimentaire à un autre ne peut se faire
sans dégâts. Le fait que l'espérance de vie soit plus élevée ne diminue en
rien la relation aliment/santé qui en se dégradant porte atteinte à l'aspect
qualitatif de l'individu. Nous nous sommes contentés
de présenter brièvement une révolution alimentaire sans entrer dans le détail
des modifications métaboliques et des mécanismes physiopathologiques qui découlent,
sachant bien qu'un petit déjeuner précaire peut à lui seul entraîner une révolution
métabolique interne ! Notons par ailleurs que l'épidémiologie
n'était pas, et ne l'est pas encore science bien établie dans nos contrées,
il est alors difficile d'interpréter les causes de mortalité quand nos
registres et nos certificats médicaux continuent à imputer la mort à des «causes
naturelles » ! |
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